"L'aviation civile arrive au Cameroun en 1934"

Publication : lundi 29 novembre 2010 18:04

M. NJAMKEPO, vous avez occupé le poste de Directeur de l'Aéronautique Civile à un moment où l'aviation civile était encore entrain de se mettre en place au Cameroun. Comment l'aviation civile est-elle arrivée dans notre pays ?

 

On commence à parler de l'aviation civile au Cameroun dès 1932. Mais, les choses vont véritablement se matérialiser en 1934 avec un projet pour la construction des infrastructures aéroportuaires à Douala, Garoua et Yaoundé. Mais, il faut dire qu'en 1934, l'activité aérienne se limite à l'arrêt de quelques touristes à Douala et au passage à Garoua de gros appareils de la nouvelle ligne commerciale reliant l'Algérie au Congo. C'est aussi en 1934 que sera créé l'aéroclub de Douala. Cette structure bénéficie des subventions du Territoire et de la Chambre de Commerce de Douala, en prévision de son impact sur le développement économique. L'aéroclub va rapidement évoluer et comptera 80 membres en 1936 dont une dizaine de pilotes répartis en deux sections à Yaoundé et à Douala.

La législation aéronautique fait ses débuts au Cameroun en 1936. Différents textes sont promulgués. Parmi lesquels la Convention Internationale du 23 octobre 1919, portant réglementation de la Navigation Aérienne.En 1947, le Cameroun est relié à l'Afrique Equatoriale Francophone, l'Afrique Occidentale Francophone, l'Afrique du Nord et la France, par les avions de la compagnie Air France qui assurent un service régulier. Il y avait quatre avions au départ du Cameroun pour relier Bangui, Brazzaville, Pointe Noire, la côte jusqu'à Dakar avec correspondance à Lagos et Dakar sur Paris. En sens inverse, cinq avions arrivaient au Cameroun chaque semaine. Le nombre d'avions atterrissant à Douala passera de 450 en 1947 à 900 en fin 1949.A partir de 1950 l'organisation des transports aériens et des aérodromes du cameroun dépend du bureau de l'aéronautique civile relevant directement du ministère Français des travaux publics et des transports . Le Cameroun est alors relié à la France et aux Territoires fran¬çais d'Outre Mer par des appareils de type DC, apparte-nant à Air France. A cette époque, on a quatre liaisons par semaine entre Douala et Paris, dont un départ de Douala.

Il faut dire qu'à cette époque, il existait une compagnie locale appelée " Air Cameroun " qui assurait avec Air France,la desserte intérieure du Cameroun.D'autres compagnies aériennes comme ARDIC et Avia-Service, effectuent les vols à la demande.L'aviation civile va continuer de progresser et la Direction de l'Aéronautique Civile du Cameroun, sera créée par le Décret du 20 décembre 1959.

Au départ, il existait une Direction Générale de l'Aviation Civile en Afrique centrale, avec pour siège Brazzaville. Pourquoi le Cameroun décide de créer sa propre Direction de l'Aviation Civile ?

C'est en 1956 que fut créé au Cameroun, un Service d'Etat de l'Aéronautique Civile rattaché au ministère français de l'Economie et du Plan. Cette séparation du Cameroun de la Direction Générale de l'Aviation Civile de l'AEF, était essentiellement due au statut du Cameroun qui avait été placé par l'ONU sous mandat français, avec tous les avantages que cela comportait, notamment l'aspiration au statut d'Etat Indépendant...

En tant que premier Directeur de l'Aéronautique Civile Camerounaise, vous avez certainement eu à mettre en place un cadre réglementaire régissant les activités de l'aviation civile dans notre pays ?

Le Cameroun ayant acquis son indépendance le ler janvier 1960, est devenu membre de la Convention de Chicago, signée le 07 décembre 1944, créant l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI). Dès lors, notre pays avait le devoir de veiller à ce que la législation nationale s'aligne autant que possible sur les normes et pratiques fixées par l'OACI en ce qui concerne les avions immatriculés au Cameroun et les avions étrangers entrant ou sortant du territoire camerounais. Ainsi, la loi n°63/LF/35 du 05 novembre 1963 portant Code de l'Aviation Civile au Cameroun, était parfaitement conforme à la Convention de Chicago. Cette loi qui a dû subir des modifications aujourd'hui en raison de l'évolution du matériel, donnait au ministre chargé des transports, à travers la Direction de l'Aéronautique Civile Fédérale (DACF), la responsabilité de la sécurité de la navigation aérienne au dessus du territoire fédéral. En application de l'article 2 du Décret n°64/DF/314 du 74 juillet 1964 portant organisation de la DACF, cette dernière est chargée d'étudier, de promouvoir, de réglementer et de contrôler toutes les activités pouvant concourir, dans l'intérêt général, au développement de l'aviation civile, commerciale ou industrielle.

Comment s'est effectuée la mise en place de la compagnie panafricaine Air Af'rique ?

Air Afrique est née du traité de Yaoundé signé entre onze Etats, le 28 mars 1961, dont le Cameroun était le dépositaire. Le Cameroun, la Centrafrique, le Congo (Brazzaville), la Côte d'Ivoire, le Gabon, le Burkina Faso, le Bénin, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. (Le Togo douzième Etat membre n'a adhéré au Traité de Yaoundé que plus tard, en 1964). Le capital social initial était de un milliard cinq cents millions de franc CFA, réparti entre les 12 Etats à raison de 6% par Etat, soit 72%. Les 28% restants étaient accordés à la SODETRAF (Société pour le Développement du Transport Aérien en Afrique Française), société de droit français qui représentait les intérêts d'Air France et UTA. Chaque Etat était représenté au Conseil d'Administration par deux membres, conformément à l'article 3 des statuts, la SODETRAF par neuf membres. La société avait un établissement ayant les attributs d'un siège social dans la capitale de chacun des Etats qui y participait. Le siège administratif était fixé à Abidjan (République de Côte d'Ivoire). El Hadj Moussa Yaya, à l'époque Vice président de l'Assemblée Nationale et moi (Gilles Njamkepo, Ndlr), Directeur de l'Aéronautique Fédérale, avons été désignés pour représenter le Cameroun au Conseil d'Administration. La société Air Afrique avait été créée pour assurer l'exploitation des droits aériens internationaux de chaque Etat membre. Toutefois, aux termes de l'alinéa 2 de l'article 3 du Traité de Yaoundé, chaque Etat pouvait lui confier l'exploitation de ses lignes intérieures. C'est ce que le Cameroun fit dès le début des activités d'Air Afrique. La présence d'Air Afrique entraîne donc des situations suivantes : chaque Etat membre doit désigner la société multinationale pour exploiter ses droits aériens internationaux, ce qui signifie que les sociétés françaises qui avaient jus-qu'alors le monopole d'exploitation dans ces pays ne pourront prétendre qu'aux 50% dans chacun de ces Etats, avec l'interdiction absolue de faire du Cabotage entre deux ou plusieurs de ces Etats, ni entre ces Etats et des tiers.

Face à la concurrence des sociétés françaises de transport aérien, Air Afrique avait-elle des chances de réussir ?

Air Afrique avait toutes les chances de réussir, eu égard aux bouleversements que sa naissance a créés, tout particulièrement dans les sociétés françaises de transport aérien. Elle avait droit à 50% du trafic international dans chacun des Etats membres. De plus, les accords aériens que ces Etats membres signaient avec les Etats tiers, disposaient qu'il était interdit aux compagnies tierces de faire du trafic de 3e et 4e libertés avec les Etats membres. Mais au début, elle était jeune, face aux vieilles compagnies comme Air France et UTA qui avaient beaucoup d'expérience et savaient comment contourner les dispositions des accords pour détourner le trafic en leur faveur. Par ailleurs, SODETRAF, malgré l'importance de ses parts (28%), ne lui facilitait pas la tâche par sa qualité dans l'exploitation des droits aériens réciproques. Malgré cet obstacle, somme toute prévisible, Air Afrique avait des chances de réussir. Mais d'autres éléments négatifs sont venus aggraver la situation : la crise économique mondiale a une part prépondérante dans l'échec d'Air Afrique ; la gestion mafieuse de ses dirigeants, la politique imposée par certains Etats membres, le non paiement des dettes contractées par les Etats envers la société multinationale et j'en passe, sont autant d'obstacles qui ont jalonnés le chemin tortueux suivi par la structure jusqu'à son dépôt de bilan. C'est vraiment dommage, car les idées qui ont orienté les chefs d'Etats vers la création de Air Afrique étaient très nobles. N'est-ce pas l'union qui fait la force ?

Si Air Afrique avait toutes les chances de réussir, pourquoi le Cameroun décide alors de s y retirer pour créer sa propre compagnie aérienne ?

Le Cameroun a quitté Air Afrique pour créer sa propre société des transports aériens. Retenons tout de suite que dans le porte feuille des trafics aériens que détenait Air Afrique, le Cameroun à lui seul détenait plus de 25%. C'est dire plus du quart du trafic, donc de recettes perçues dans les douze Etats. Le Cameroun le savait depuis le début, mais ce n'est pas cela qui l'a décidé à quitter Air Afrique. C'est le mauvais fonctionnement de cet instrument prodigieux qui, tout au long de ses dix années d'âge, a dévié du chemin tracé par le traité de Yaoundé. En effet, dès le premier Conseil d'Administration des 26 et 27 juin 1961, un président a été élu en la personne de Cheik Fall, un des administrateurs du Sénégal, conformément aux statuts et Loury de la SODETRAF Directeur Général qui a démissionné par la suite. Cheik Fall, par ses manigances en a profité pour s'arroger le titre de Président Directeur général (PDG).

Dès lors, il gérait la société tout seul, au mépris du Conseil d'Administration et du comité des ministres de tutelle dont il s'est arrogé les fonctions de Secrétaire permanent, cumulées avec ses fonctions de PDG. Dès lors, il ne recevait plus d'ordre de personne. Il faisait prendre au cours des réunions du comité des ministres de tutelle dont il était le secrétaire permanent, toutes les décisions qui l'arrangeaient. Il ira même jusqu'à se comparer aux Chefs d'Etat à qui il parlera d'égal à égal. Devant une telle situation intolérable, les chefs d'Etat réunis au sommet de Yaoundé, les 1 er et 2 janvier 1970, ont décidé de nommer un comité ad hoc de sept ministres pour examiner cette situation et proposer des adaptations néces-saires, afin de rendre Air Afrique compatible avec les objectifs des Chefs d'Etat des pays membres. Ce comité ad hoc, composé du Cameroun, de la Centrafrique, du Congo, de la Côte d'Ivoire, du Gabon, du Niger et du Sénégal s'est réuni le ler et le 2 avril 1970 et a relevé un certain nombre de disfonctionnements à Air Afrique, qui ont fait l'objet de résolutions transmises aux chefs d'Etats. Une de ces résolutions relève que le comité des ministres de tutelle visé au titre Il du traité de Yaoundé, au lieu d'être l'organe de tutelle et de contrôle de la société multinationale, était devenu dépendant du PDG qui avait réussi à cumuler ses fonctions de PDG avec celles de secrétariat permanent du comité des ministres de tutelle, et que le conseil d'administration était devenu une chambre d'enregistrement. Par ailleurs, le comité ad hoc avait proposé de séparer les fonctions du Président du Conseil d'Administration de celles de Directeur général. Du coup, Cheik Fall s'était retrouvé uniquement Président du conseil d'administration. C'est à partir de ce moment là que Cheik Fall avait fait courir des informations mensongères suivant lesquelles le Cameroun avait insisté pour la séparation des fonctions du Président du conseil d'administration de celles du Directeur général. En effet, si cette formule de PDG est valable pour certaines sociétés commerciales multinationales ou internationales où le PDG détient le pouvoir prépondérant de par la majorité des parts qu'il détient (50%) au sein de la société, elle ne semble pas souhaitable dans une société multinationale comme Air Afrique, où tous les Etats ont des parts égales, d'où l'égalité de tous les administrateurs au sein du conseil.

En modifiant en 1963 l'article 21 des statuts, qui a fait de Cheik Fall le Président Directeur Général, les chefs d'Etats comptaient sur sa bonne foi. Qui aurait pu penser que quelques années plus tard on allait assister à une situation aussi tendue. Il n'est pas superflu, pour la bonne compréhension de la situation créée au Cameroun, de rappeler qu'en 1969, sur décision du Chef de l'Etat, nous avons fait des études pour la création d'une compagnie de transport aérien d'intérêt national avec la participation de Air Afrique en vue de nous conformer à l'article 3 du Traité de Yaoundé. Cette étude avait déjà été transmise au Chef de l'Etat pour décision finale, et nous étions en pourparlers avec Air Afrique pour la mise au point des conditions de sa participation, lorsqu'en 1970, le PDG de la société multinationale a fait courir les informations diffamatoires à l'endroit du Cameroun. Dès que ces propos sont parvenus au président de la République, il nous a donné de nouvelles instructions dans le sens d'étendre cette étude au transport aérien international.

C'est de cette façon que le Cameroun a quitté Air Afrique pour créer sa propre compagnie : " Cameroon Airlines ".

Comment Cameroon Airlines se met-elle en place ?

Nous venons de voir comment le Cameroun a été amené à quitter Air Afrique et créer sa propre compagnie Cameroon Airlines, destinée à exploiter les droits aériens internationaux et desservir les lignes intérieures. Il faudrait peut être rappeler que les lignes intérieures jusque là étaient exploitées en plus d'Air Afrique par deux autres compagnies de nationalité camerounaise : Air Cameroun et Cameroon Air Transport. Ces deux compagnies avaient déposé leur bilan. Dès lors, il fallait faire vite pour asseoir la nouvelle société, ce qui a été réalisé, et l'assemblée générale constitutive de Cameroon Airlines s'est tenue à Yaoundé le 26 juillet 1971, suivie de la réunion du conseil d'ad-ministration qui a désigné Mouliom Njifendjou Président directeur général de la Camair.

Qu'est-ce qui selon vous justifie le grand attachement des Camerounais à la Camair ?

C'est avec beaucoup de joie que les Camerounais ont accueilli la nouvelle de la création de la Camair. Ils se sont attachés à elle comme une mère à son enfant. Avec la mise en service du quadriréacteur Boeing 747 (combi), l'explosion de joie était encore plus vive. C'est pourquoi, chaque fois que l'on a tenté de vendre le combi, tous les camerounais se sont levés contre. Malheureusement, l'accident de cet appareil dans la région parisienne, en France, avait mis fin à la vénération que les camerounais avaient voué à leur enfant chéri.

Quelle analyse faites-vous de la fin de la Camair ?

Camair a eu sa période de gloire. Elle a porté pendant plus de 30 ans les couleurs camerounaises sous divers cieux. Les camerounais, sans exception, en étaient fiers. Elle a aussi traversé des périodes difficiles ; elle devait faire face à la concurrence des compagnies étrangères autorisées à desservir le Cameroun, de la même façon que son aîné Air Afrique. Comme la compagnie multinationale, la Camair a été confrontée à des difficultés. Notre compagnie nationale aérienne n'a pas pu échapper à la crise économique mondiale qui traverse l'aviation civile, malgré le soutien que l'Etat n'a cessé de lui apporter.

Pouvez-vous nous dire un mot sur la Convention ASECNA/Etat du Cameroun qui a été signée à Saint-Louis au Sénégal ?

Le 12 décembre 1959, à Saint-Louis au Sénégal, où se tenait le sixième Conseil Exécutif de la communauté française, le Premier ministre de la République française et 12 chefs d'Etats signaient une convention par laquelle ils décidaient de constituer un établissement public doté de la personnalité morale et jouissant de l'autonomie financière, pour assurer les services destinés à garantir la sécurité et la régulation des vols des aéronefs dans les territoires des douze Etats africains de la communauté (à l'exclusion du territoire français).

De par leur statut de protectorats, le Cameroun et le Togo ne font pas partie de la communauté française. D'ailleurs, le Cameroun accèdera à l'indépendance dans 19 jours et le Togo quelque temps après. Cet organisme nommé Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) était destiné à l'origine à prendre en charge les responsabilités qui jusqu'alors étaient assurées par la France, en application de la convention de Chicago, en son article 4, relative à l'Aviation Civile Internationale, signée le 7 décembre 1944. Le Cameroun a été sollicité pour devenir membre de l'ASECNA.

Cette adhésion n'a été possible qu'après un certain nombre d'amendements de la convention de Saint-Louis, par la suppression de tout ce qui se rapporte à la communauté française, et à la responsabilité de la République française. Il faut rappeler qu'au moment où le Cameroun était sollicité, aucun des douze Etats signataires de la convention n'était déjà indépendant. C'est la raison pour laquelle dans la convention originale, la responsabilité de la République française était si engagée. La France pensait conserver ses anciennes colonies en Afrique. Mais la situation avait évolué entre temps et les Etats ont demandé et obtenu leurs indépendance les uns après les autres.

Avez-vous rédigé des mémoires pour partager la riche expérience que vous avez de l'aviation civile ?

J'y songe, mais je ne les ai pas encore mis au propre. J'espère que je vais vivre assez longtemps pour faire profiter cette expérience aux générations descendantes.

JL NJAMKEPO, CCAA News vous remercie pour votre disponibilité.

C'est moi qui vous remercie.